LES VIEILLES BARQUES
HUILE SUR TOILE - 2005 - 41 x 33 cm
Attendre que la Nuit...
Attendre que la Nuit, toujours reconnaissable
A sa grande altitude où n’atteint pas le vent,
Mais le malheur des hommes,
Vienne allumer ses feux intimes et tremblants
Et dépose sans bruit ses barques de pêcheurs,
Ses lanternes de bord que le ciel a bercées,
Ses filets étoilés dans notre âme élargie,
Attendre qu’elle trouve en nous sa confidente
Grâce à mille reflets et secrets mouvements
Et qu’elle nous attire à ses mains de fourrure,
Nous les enfants perdus, maltraités par le jour
Et la grande lumière,
Ramassés par la Nuit poreuse et pénétrante,
Plus sûre qu’un lit sûr sous un toit familier,
C’est l’abri murmurant qui nous tient compagnie,
C’est la couche où poser la tête qui déjà
Commence à graviter,
A s’étoiler en nous, à trouver son chemin
par
Jules Supervielle ( 1884 - 1960 )
Poète, romancier et dramaturge français, auteur d'une poésie très personnelle, hantée par l'angoisse de l'absence et le sens du mystère.
Né à Montevideo, en Uruguay, issu d'une famille de grande bourgeoisie, orphelin huit mois après sa naissance, il fut élevé par son oncle et sa tante, et partagea sa vie entre la France et l'Amérique du Sud. Il se maria en 1904, et fut père de six enfants. Tandis que ses premiers poèmes sont d'une facture assez traditionnelle (Brumes du passé, 1900 ; Comme des voiliers, 1910), la fréquentation de Jules Laforgue le poussa à cultiver l'humour (Poèmes de l'humour triste, 1919). Il se libéra de toute influence à partir de Débarcadères (1922), le premier de ses recueils en vers libres, où se retrouve toutefois le goût pour les voyages qu’il partageait avec Valéry Larbaud.
Après un roman fantastique (L'Homme de la pampa, 1923), Supervielle explora, dans sa poésie, le fond le plus obscur de sa personnalité (Gravitations ; Le Voleur d'enfants ; Le Forçat innocent ; Les Amis inconnus ; La Fable du monde). Il publia aussi des récits (L'Enfant de la haute mer ; Boire à la source), écrivit pour le théâtre (La Belle au bois). La maladie le retint en Uruguay pendant la guerre, qui lui inspira des poèmes âpres et mystiques (1939-1945 ; La nuit). Sa poésie devint ensuite plus facile d'accès et s'inspira de contes mythologiques (Robinson ; Shéhérazade).
Il obtint le prix des Critiques en 1949, pour Oublieuse mémoire, et celui de l'Académie française, pour l'ensemble de son œuvre, en 1955. Après quelques recueils moins inventifs, il trouva des accents nouveaux dans le Corps tragique (1959), sorte de méditation sur la mort. Dans ses poèmes, la rêverie personnelle atteint souvent une dimension cosmique.
Les Vieilles Barques.
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Elles gisent sur un lit de sable ou de vase séchée
et pour tout baptême portent des noms à ce jour disparus.
A l'abri, sur leurs corps immobiles, les oiseaux sont perchés,
caquetant sur l'injuste partage des derniers poissons crus.
Leur étrave rouillée ne prendra plus la mer et de leur plancher fendu s'insinue la verte salicorne,
les scellant au sol de toute éternité.
Le regret est amer, quand le flot descendant ne les a emmenés,
ne laissant à l'intérieur de leurs pauvres carcasses
que des flaques stagnantes retenant prisonniers des crabes téméraires…
Elles franchirent les passes pour mener à bon port de leur ventre gravide des fardeaux importants
et sauvèrent des vies, quant aux plus fortes syzygies, les imprudents prenaient la mer.
Vous vivez aujourd'hui le reste de votre âge à vous fondre peu à peu au gré des éléments
qui ne vous portent plus sur le jusant rageur…
Vous ne méritez pas de finir oubliées dans l'âtre d'un foyer ou couvertes d'immondices,
mais dans un musée, ou chacun vous devrait le respect pour les services,
par vous rendus en toute humilité.
Le Bassin d'Arcachon
de François VEILLON
http://pageperso.aol.fr/francoisveillon/Lesfleursdujardin.html
francoisveillon@aol.com