PETITE FILLE
PASTEL SEC - 2006 - 21 x 27
Mon seul et unique essai de pastel sec
A MA FILLE
Oh mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
-- Résignée ! --
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, -- destin morose !--
Tout a manqué. Tout, c'est à dire , hélas !
Peu de chose.
Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l'univers chacun cherche et désire:
Un mot, un nom, un peu d'or, un regard,
Un sourire !
La gaîté manque au grand roi sans amour ;
La goutte d'eau manque au désert immense.
L'homme est un puits où le vide toujours
Recommence.
Voir ces penseurs que nous divinisons,
Voir ces héros dont les fronts nous donnent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S'illuminent !
Après avoir, comme fait un flambeau,
Ebloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d'ombre.
Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.
Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu'il est dur et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d'ici-bas,
Et des hommes !
Cette loi sainte, il faut s'y conformer.
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !
Victor HUGO - Recueil : Les Contemplations.
1802 - 1885
-o-o-o-o-o-o-
Mis en ligne par Raphaël CONFIANT sur Montray Krérol :
Petite, Petite fille, je ne connais pas ton nom.
Peut-être Malika, Leïla ou Nassima.
Ou peut-être Hind (" Inde en arabe ) celui qu'on donne aux plus belles, je ne connais pas ton nom mais tes yeux me parlent.
J'aime leur couleur " moreno de verde luna "semon l'image du grand poète andalou Ferderico Garcia Lorca dans le "Romancero gitano". Image que l'on pourrait traduire, maladroitement sans doute par " brun-vert clairdeluné " ou " brun-vert olive ". Oui, tes yeux me parlent et j'entends ces mots : incompréhension, douleur, peur, incrédulité.
Petite fille de Gaza, la rebelle, derrière les barreaux roses de ta maison, observant les funéraillesde ton père abattu par l'armée de Sion. Tu ignores peut-être que d'autres barreaux plus grands et plus terribles enserrent la langue de terre où ton peuple a été parqué depuis un demi-siècle. Sans doute de la terrasse de chez toi, observes tu à l'approche de la nuit de grands oiseaux de feu qui trouent le ciel et s'en vont. Ce ne sont hélas, point, des créatures d'Allah mais des hélicoptères et les lueurs qui s'en échappentne sont pas des rayons de lune mais le jet continu des mitrailleuses.
Petite fille dont les lèvres s'ouvrent de stupeur et qui pourtant conservent l'innocence des pétales fraîchement écloses des roses d'Ispahan, je sens ton coeur chamader contre le mur où tu tentes de trouverun peu de chaleur et d'affection. En toi, soudain un grand vide, comme si toute ta petite personne se dérobait sous tes jambes, comme si ce que tu voyais par-delà les barreaux te projetait d'un seul élan dans l'innommable monde.
Petite fille de Palestine, je devine pourtant, à tes mèches rebelles, à cette larme au bord de tes yeux qui ne veut pas couler, que l'essentiel en toi, n'a pas été ébranlé. Je devine que demain, tu grandiras avec une détermination sans faille, que les " moustafikin " ( " hypocrites " en arabe ) et les bavardeursdes droits de l'homme qualifieront probablement de " féroce ". Il ne savent pas de quoi ils parlent. Ils n'ont jamais vu la mort de près. Ils sèment cette mort derrière le blindage d'acier de leurs chars ou depuis la carlingue de leurs chasseurs-bombardiers volant à 10 000 pieds. Puis ils rentrent tranquillement au bercail pour lire des contes de fées à leurs enfants afin de les aider à s'endormir, affectueux et humains en diable.
Petite fille dont on a brisé l'enfance, sache que nous serons nombreux, de plus en plus nombreux à ne pas te condamner le jour où, devenue femme, tu décideras de frapper l'ennemi.
Car comme le dit le grand poète palestinien Mahmoud Darwich :
" Mon pays commence depuis moi-même ".
Petite fille, tu es un pays à toi toute seule. Un pays à naître. Un pays qui vagit, qui tressaute, qui hurle dans l'indifférence des bien-pensants de l'Occident judéo-chrétien.
Un pays qui naîtra un jour.
Forcément.
Aux forceps...
Petite fille palestinienne, tu es ma fille. J'éprouve la tendreté de ta peau contre la mienne, je te serre dans mes bras, je t'étreins.
Je ne cesse de t'étreindre malgré les barreaux qui emprisonnent la sourde énergie de tes six ans.
Soleil, ô soleil, c'est ce que tu es, oui...
RAPHAËL CONFIANT